Erik Orsenna dresse un portrait cinglant de Vincent Bolloré …

L’académicien Erik Orsenna, auteur de 70 livres, publie chez Gallimard le 16 février un roman intitulé « Histoire d’un ogre » dans lequel il s’attaque avec férocité, mais sans le nommer, à Vincent Bolloré, l’homme d’affaires patron de Vivendi qu’il accuse de vouloir régner sur les médias et l’édition. De plus en plus d’intellectuels et d’artistes mènent la bataille culturelle légitime pour ne pas que l’éducation, la culture et l’information  soient confisquées, détournées puis déformées par l’extrême droite …

Erik Orsenna : « En écrivant sur Bolloré, je m’attends à tout, et je répondrai »

 Propos recueillis par Marianne Payot pour un article publié dans Le Mag de l’Express du 09 février 2023.

ERIK ORSENNA , écrivain , auteur

L’Académicien français Erik Orsenna publie « Histoire d’un ogre », portrait cinglant de Vincent Bolloré. F. Mantovani / Gallimard

La retraite, quelle retraite ? A 75 ans, Erik Orsenna en sourit derrière sa moustache blanche, lui qui cumule les missions (ambassadeur de l’Institut Pasteur, président d’une association internationale pour l’avenir des grands fleuves : à ce titre, il interviendra à l’ONU lors de la prochaine journée mondiale de l’eau, etc.) et les projets littéraires. « C’est ce que me disent mes éditeurs, on pourrait faire une filiale rien qu’avec tes projets », s’amuse l’Académicien français en cette après-midi germanopratine. Mais pour l’heure, Eric Arnoult, alias Orsenna, est là pour parler d’Histoire d’un ogre, le livre qui fait bruisser le Tout-Paris, le portrait cinglant d’un certain Vincent Bolloré.

Certes, l’ex-conseiller culturel de François Mitterrand, auteur du savoureux Grand amour (1993), ne cite jamais nommément le patron breton de Vivendi dans son conte à la Voltaire, mais chaque page le désigne, chaque anecdote l’assigne. Celui qui fut éditeur avec Jean-Pierre Ramsay, défenseur du prix unique du livre auprès de Jack Lang, créateur avec Jacques Attali du livre électronique, ambassadeur de la lecture publique, entame ici son énième combat pour le livre, qui est, à ses yeux, « la réflexion, la liberté et le possible, la seule vraie manière de fabriquer des citoyens, surtout en ces temps de fake news et de réseaux dyssociaux ».


« Dès qu’il a pris Canal+ en main, la liberté a reculé » : Erik Orsenna tire à boulets rouges sur Vincent Bolloré.

Publié par Ludovic Galtier dans Puremédias du 8 février 2023.

L’ombre de Vincent Bolloré plane au-dessus de l »Histoire d’un ogre ». Dans le livre qu’il publiera le jeudi 16 février 2023, l’écrivain Erik Orsenna réussit l’exploit de tirer le portrait de l’actionnaire du groupe Canal+ sans jamais citer son nom. « C’est un homme d’affaires et de coups, il se glisse dans les nids construits par d’autres. C’est un prédateur qui n’apporte rien d’autre aux entreprises qu’il achète que son nom. L’ogre, c’est le ‘toujours plus’. Il veut tout engloutir, il n’en a jamais assez« , dépeint l’auteur dans une interview parue,  dans « Le Monde ».

Vincent Bolloré est « dangereux pour la démocratie »

Pour le membre de l’Académie française, Vincent Bolloré est un « adversaire » et « dangereux pour la démocratie« . « S’il n’avait pas mis tout son empire au service d’Éric Zemmour, je ne me serais jamais lancé dans cette croisade. Il met son pouvoir au service d’une parole de haine. C’est unique à ce niveau dans le capitalisme français« , analyse l’ancien conseiller de François Mitterrand dans les années 1980 et soutien d’Emmanuel Macron depuis 2017.

Erik Orsenna met en garde face à « l’interventionnisme extrêmement brutal » du milliardaire « partout où il arrive« . « Je l’ai vu à l’œuvre à Canal+. Ça a été la première alerte qui a montré son envie de prise de contrôle et de mépris des gens. Cette chaîne était un espace de liberté et d’insolence totale. Dès que Vincent Bolloré a pris la chaîne en main, la liberté a reculé« , assure-t-il au « Monde ». « Surtout, le grand danger avec Vincent Bolloré, c’est l’autocensure de tous ceux qui ont peur de lui déplaire, de le fâcher. On le voit chez Editis qu’il détient encore où des projets de livres ont été annulés », déplore celui qui a quitté les éditions Fayard et Stock et qui s’emploie à réfléchir « à comment empêcher que les mêmes détiennent les médias et l’édition« . Il sera auditionné à ce sujet prochainement par la Commission européenne.


« Il se repaît du royaume de France » : l’ogre Bolloré selon Erik Orsenna

Dans le conte néo-voltairien « Histoire d’un ogre », l’académicien sans peur et sans reproche décrit l’appétit féroce de Vincent Bolloré, industriel aussi puissant que susceptible. Une chronique de Jérôme Garcin parue dans L’Obs du 13 février 2023

Erik Orsenna à Paris en 2018. (JOEL SAGET / AFP)

Eric Arnoult, alias Erik Orsenna, est un écrivain prolixe. Prix Goncourt à 40 ans pour « l’Exposition coloniale » et académicien français à 50, il a publié chez de nombreux éditeurs. S’il a choisi de confier l’« Histoire d’un ogre » (18,50 euros, en librairie le 16 février) à Gallimard, c’est qu’il ne pouvait la faire paraître chez Robert Laffont et au Cherche Midi, où il a signé « Désirs de villes » et « Fabrique du neuf », deux maisons du groupe Editis, donc de Vivendi. Car l’Ogre de ce conte néo-voltairien (comptant 184 217 signes, comme « Candide ») n’est autre que Vincent Bolloré, industriel aussi puissant que susceptible. Pas sûr qu’il goûte, à sa juste valeur, l’humour féroce d’Orsenna, seul romancier à être titulaire d’un doctorat en sciences économiques, commandeur de l’ordre du Mérite agricole et à n’avoir jamais perdu, malgré un passage par l’Elysée de Mitterrand et le Conseil d’Etat, son rire écumant de cascade versaillaise.

Qu’est-ce donc qu’un ogre, selon le Petit Poucet du quai Conti ? C’est, comme les chacals ou les varans, un « nécrophage », qui se nourrit de cadavres. Contrairement à l’entrepreneur, ce créateur d’entreprises (à l’image de feu Jean-Luc Lagardère, alias le « capitaine », pour lequel notre libelliste éprouve une admiration nostalgique), l’Ogre se jette sur celles qui sont à l’agonie. Il dévore tout ce qu’a autrefois aimé Erik Orsenna, d’Europe 1 à Canal+, de Robert Laffont à 10/18. Après avoir mis la main sur les ports africains, il « se repaît du royaume de France » et a même tenté, en lançant tous ses organes de presse dans la bataille, d’asseoir sur le trône le polémiste identitaire de Reconquête. Mais ce fut en vain, malgré l’union nationale du « méchant milliardaire » et du « gentil populaire » (de C8).


Orsenna-Bolloré : les raisons de la colère

EDITO – En publiant Histoire d’un Ogre, l’académicien sort une charge contre le futur propriétaire d’Hachette, pas seulement motivée par les ambitions de Vivendi dans l’édition. Histoire d’une déception à la hauteur des liens tissés entre deux hommes qui se connaissent depuis toujours.

Erik Orsenna et Vincent Bolloré

Erik Orsenna et Vincent Bolloré. Comment expliquer un tel changement de pied dans les relations entre deux hommes qui se connaissent depuis toujours ? AFP / Montage challenges

La mère de Vincent Bolloré, lectrice chez Gallimard, a dû se retourner dans sa tombe! Dans sa prestigieuse collection blanche, la maison d’édition a en effet publié le 16 février Histoire d’un ogre, un conte « voltairien » de l’académicien économiste Erik Orsenna, tout entier consacré à Vincent Bolloré, sans que jamais son nom ne soit prononcé. L’Ogre, c’est évidemment lui, insatiable avaleur d’entreprises, méprisant avec ses collaborateurs, danger pour la démocratie. Est-ce seulement le soutien du milliardaire à Eric Zemmour qui a provoqué l’ire du conteur, homme de gauche bon teint? Où sont-ce plutôt les projets dans l’édition de Vivendi, contrôlé par Bolloré, qui mobilisent les énergies littéraires de l’auteur? Jusqu’ici en effet, l’essentiel de ses livres avaient été publié chez Fayard et Stock, fleurons de Hachette, promis donc à être mangés par l’Ogre, auquel il fait le reproche, au fil des pages, d’être un faux entrepreneur. Ou y a-t-il dans les raisons d’écrire ce pamphlet encore autre chose, plutôt de l’ordre de la déception?

Car curieusement, il y a treize ans, Erik Orsenna signe lui-même un incroyable document: la « charte des valeurs du groupe Bolloré », titré « le temps ne ment pas ». Avec quelques passages qui valent le détour, vantant « un groupe qui n’a pas craint de voir dans l’ouverture des frontières la plus stimulante des opportunités » ; louant « la haute attention prêtée aux hommes et aux métiers » ; célébrant « l’ambition permanente d’élargir son périmètre d’activité. Sans nouveaux horizons, sectoriels ou géographiques, comment se garder dynamiques? »… L’Ogre plébiscité! Et même si le texte a été écrit en 2009, cette charte des valeurs du groupe Bolloré est toujours en vigueur dans le groupe originaire de Bretagne. Que s’est-il passé pour un tel changement de pied?

Un désenchantement à la hauteur des liens tissés?

Erik Orsenna, dans une interview à Télérama, explique l’origine de ce lien spécial: « Une partie de ma famille habite Quimper (tout près d’Ergué-Gabéric, le siège historique de Bolloré), et j’ai vécu dans la légende de la famille Bolloré. J’ai eu beaucoup d’admiration pour Vincent Bolloré comme entrepreneur: sa façon de sauver l’entreprise familiale de papier, puis son engagement dans les batteries et les voitures électriques. » Avec l’arrivée de « l’entrepreneur devenu financier » chez Vivendi, les choses se sont gâtées: « mise au pas de Canal Plus », visées sur Hachette… « Il y avait péril en la demeure », justifie l’auteur.

Erik Orsenna ne précise pas que ses liens avec l’entrepreneur sont allés bien au-delà de la seule rédaction de la charte du groupe. Notamment quand il s’est agi de donner une caution morale aux projets de Vincent Bolloré dans le mécénat. Ainsi l’écrivain était-il présent lors d’événements mettant en scène les lauréats de la Fondation de la deuxième chance, soutenue par le groupe Bolloré. Le désenchantement qui s’exprime dans Histoire d’un ogre serait-il à la hauteur des liens tissés, d’une forme de confiance qui aurait été abusée?

Comme si l’Ogre avait fini par manger un de ses enfants

Car la plume d’Orsenna dans ce petit essai est parfois trempée dans le fiel, quand il décrit par exemple « le patron, tenant par le lobe de l’oreille, l’un de ses collaborateurs et on l’entend, sous les rires, renouveler son affection : cher Arnaud (ou cher Maxime, ou chère Delphine), toi au moins, hein, tu fais ce qu’on te dit de faire, tu sais que c’est pour ça que je t’aime ». Scènes garanties véridiques, qui nous éloignent du conte voltairien. Dans ces occasions, Erik Orsenna sait se montrer aussi talentueux, alerte et… méchant, que son Ogre.

La force du trait tient sans doute à cette histoire commune, que l’auteur a du mal à assumer. Comme si l’Ogre avait fini par manger un de ses enfants… Cela ne fait qu’accentuer le plaisir à parcourir ces pages, sans scoop évidemment – c’est un conte – mais pleines de vie et de drôlerie.


« Histoire d’un ogre » : Erik Orsenna dresse un portrait cinglant de Vincent Bolloré

​Dans Histoire d’un ogre, Erik Orsenna dépeint l’industriel Vincent Bolloré en ogre insatiable dévoreur d’entreprises. Il ne lui pardonne pas sa mainmise sur les médias et l’édition.
Un article signé Florence Pitard publié dans L’Ouest France du

Erik Orsenna croque Vincent Bolloré en ogre dévoreur de papier.
Erik Orsenna croque Vincent Bolloré en ogre dévoreur de papier. | OUEST FRANCE

Il était une fois un ogre qui dévorait, sans répit ni repos, abandonnant ici « le souvenir d’une radio, jadis indépendante », là « les restes d’une maison d’édition jadis légendaire. » Un géant né près de Quimper (Finistère) dans un moulin à papier des bords de l’Odet, et dont l’énorme appétit lui permit de bâtir un empire…

Le héros d’Histoire d’un ogre n’est jamais nommé. Mais il n’est guère difficile de reconnaître en lui Vincent Bolloré, croqué par un autre Breton célèbre, Erik Orsenna. C’est peu dire que le facétieux académicien n’y va pas avec le dos de la cuiller. Dans ce pamphlet qui prend la forme d’un conte, l’écrivain dresse un portrait saignant de l’industriel. Il lui reproche d’utiliser la stratégie du coucou pour s’emparer sans vergogne des biens des autres, d’être adepte du toujours plus, de s’entourer de banquiers complices et rapaces…

Surtout, il ne lui pardonne pas sa mainmise sur des médias comme Canal +, « île enchantée, laboratoire d’invention permanente » mise au service de visées politiques très droitières. Ni ses vues sur l’édition, Bolloré, propriétaire du groupe Editis, ayant dans l’idée de constituer un mastodonte éditorial ultra-puissant en avalant Hachette.

Un animateur toqué de politique

Erik Orsenna déroule dans ce petit livre rythmé toute son érudition d’économiste, sur un ton piquant et enlevé, multipliant les adresses au lecteur. Certes, il invente toute une galerie de personnages (anciens camarades d’école retrouvés dans les crêperies, banquière repentie) et imagine les savoureux dialogues, dont un avec un omnipotent animateur télévisé toqué de politique. Mais tout le livre est extrêmement documenté, qu’il décrive la Villa Montmorency, complexe immobilier servant de refuge aux riches et puissants de l’Hexagone, ou des manœuvres politico-affairistes.

Pour publier ce livre, Erik Orsenna a quitté ses éditeurs, Stock et Fayard, abrités par Hachette, pour se replier chez Gallimard. Son conte cruel fait du bruit dans le Landerneau des médias et de l’édition et pourrait lui valoir quelques désagréments judiciaires. Des soucis qu’il anticipe et désamorce en s’imaginant aux prises avec une meute de rottweilers… Pardon, d’avocats d’affaires.

Histoire d’un ogre, Gallimard, 167 pages, 18,50 €.


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