Pour compenser le béton du Moulin Blanc, planter des arbres dans le Morbihan !

« Contribuer au reboisement de la forêt de Ploemel (56) et parrainer la plantation de 3000 pins maritimes. » A première vue, le message est vertueux.  Mais quand il est signé par un promoteur immobilier comme Océanic, la question ne peut que se poser : prise de conscience environnementale ou stratégie de « greenwashing » ? Une occasion de faire connaissance avec la start-up brestoise Ecotree …

16 février 2023 :  en plein coeur de la zone inondable de la Cantine du Moulin Blanc le groupe Océanic plante un panneau publicitaire de 4X3 m … Un message destiné à faire oublier l’arrachage le 22 octobre 2022 par ce même promoteur des 22 pins du Joli Bosquet de #lacantinedumoulinblanc ?

Le même jour sur internet et les réseaux sociaux, le groupe Océanic officialise et médiatise son partenariat avec la start-up Ecotree …

En savoir plus sur Ecotree :  site internet par ici …

Planter des arbres pour sauver le climat est la grande tendance du moment. Il n’y a qu’à voir le nombre de start-up qui bourgeonnent et les opérations marketing qui fleurissent ces dernières années. De plus en plus d’entreprises proposent ainsi aux consommateur-trices d’alléger leur conscience en s’engageant à planter un arbre pour tout produit acheté.
Alors que les COP (conférences des parties, les sommets internationaux annuels des États concernant leurs engagements contre le réchauffement climatique) successives s’avèrent incapables d’instaurer des mesures antipollution restrictives aux entreprises, ces dernières s’engouffrent dans le créneau du greenwashing en subventionnant des plantations d’arbres et deviennent ainsi des mécènes de la nature .  Lire ci dessous une sélection d’articles de presse …


Ecotree : faut-il acheter des arbres pour sauver les forêts et la biodiversité ?

Quel est l’impact réel des solutions environnementales ou sociales d’Ecotree . Un podcast de 16’54 » signé « Impact Mania « à écouter par ici …

Impact Mania décrypte Ecotree. Source : Carenews

 Qui est Ecotree ?

Ecotree est une startup créée en 2016. Elle s’occupe d’acheter du foncier de massifs forestiers, de gérer les arbres puis de les revendre à des particuliers et à des entreprises souhaitant verdir leur politique RSE. L’entreprise est propriétaire dans plusieurs régions de France mais également au Danemark et bientôt au Royaume-Uni et en Roumanie. Elle gère en tout 1 200 hectares.

L’entreprise compte plus d’une centaine de salariés. Son chiffre d’affaires s’accroit de près de 80 % chaque année. Elle a pour objectif de devenir la numéro une européenne dans le domaine.

Ecotree reprend en gestion des domaines forestiers déjà existants mais replante également des arbres. La startup propose à des particuliers et entreprises de devenir propriétaires pour ensuite bénéficier d’un retour sur investissement lorsque l’arbre est coupé et la matière vendue.

Une gestion durable proposée par Ecotree

Ecotree assure faire tout cela de manière durable. C’est ce que raconte Annabelle Le Corfec, responsable innovation d’Ecotree :

Nous mettons en place un plan de sylviculture irrégulière. Nous faisons pousser différents arbres de différents âges. Pour ne pas faire de coupe rase, on va essayer de faire un mélange d’essences pour que résineux et feuillus s’apportent mutuellement “, Annabelle Le Corfec

Mais notre attention s’est portée, lors de cet épisode, sur l’offre de replantation proposée aux entreprises et sur le danger de greenwashing. Ecotree assure ne pas proposer une solution de compensation carbone. Pourtant, certaines entreprises utilisent malgré tout cet achat d’arbres pour compenser leurs émissions.

Un marché à plusieurs milliards de dollars dans dix ans

Frédéric Caron, fondateur d’Accurafy4, un fonds de capital risque, estime que le marché sur lequel se positionne Ecotree est porteur : « Il s’agit d’un marché à plusieurs milliards de dollars dans les dix ans qui viennent. D’autant plus que la valeur arbre prend de plus en plus de valeur »,  estime-t-il. Il en est persuadé : avec Ecotree, tous les ingrédients sont réunis pour faire une réussite entrepreneuriale.

Pourquoi choisir l’investissement privé plutôt que public pour sauver l’environnement ?

La startup mise sur l’investissement individuel pour améliorer la qualité du couvert forestier. Pour Nicolas Mottis, professeur à l’école Polytechnique : « Cela permet de faire arriver sur ce secteur forestier des investisseurs qui n’y seraient pas allés autrement car le ticket d’entrée est très faible ».

Ecotree fait de la plantation d’arbres et de la préservation de ceux déjà existants. Mais Églantine Goux-Cottin, fondatrice du cabinet de conseil ICEF l’assure au micro d’Imact Mania : « Il faut réfléchir en priorité à la préservation de ces forêts avant de penser à la plantation à tout prix ». En effet, nous avons suffisamment de massifs déjà existants sur le territoire français

Ce podcast de 16’54 » signé « Impact Mania  » est à écouter par ici …


Planter des arbres pour mieux polluer ?

Face à l’urgence climatique, l’arbre ne doit pas devenir une caution verte, à prix cassé, pour des entreprises qui refusent de s’engager à réduire leur pollution.

Un article signé Sylvain Angerand, président de l’association Canopée et Jonathan Guyot, président d’all4trees publié dans Libération du
3 avril 2019

Tribune. Planter des arbres pour sauver le climat est la grande tendance du moment. Il n’y a qu’à voir le nombre de start-up qui bourgeonnent et les opérations marketing qui fleurissent ces derniers mois. Un printemps douteux car les entreprises les plus polluantes sont les premières à saisir leur bêche et à chausser leurs bottes. Le géant italien des énergies fossiles, ENI, vient ainsi d’annoncer vouloir planter des arbres sur huit millions d’hectares en Afrique. Le PDG de Shell estime qu’il faudrait planter l’équivalent d’un deuxième Brésil en surface forestière pour arriver à stabiliser le climat. Même Total songe sérieusement à réorienter les activités de sa fondation vers la protection des forêts. Alors, vrai changement de cap ou simple stratégie de greenwashing (en français, écoblanchiment) ? Albert Einstein expliquait que l’on ne pouvait pas résoudre un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré. Et c’est bien là que le bât blesse, car, en aucun cas, ces entreprises n’envisagent d’arrêter l’exploration et l’exploitation d’énergies fossiles.

Supercherie

Planter des arbres est devenu un alibi bien pratique pour pouvoir continuer à polluer sans être pointé du doigt. L’idée est qu’en grandissant, un arbre capte du CO2 et participe ainsi à réduire la concentration dans l’atmosphère de l’un des principaux gaz responsables du réchauffement climatique. Jusque-là, nous sommes d’accord. Mais prétendre que cette action permet de «compenser» ou de «neutraliser» les émissions d’une entreprise relève de la supercherie.

Car un arbre ne pousse pas instantanément. Il lui faut plusieurs dizaines d’années pour absorber une quantité de CO2 équivalente à celle émise par la combustion d’énergies fossiles. Sauf que nous n’avons pas le temps de regarder pousser les arbres si nous voulons stabiliser le climat. Les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sont très clairs : c’est aujourd’hui, et dans les toutes prochaines années qu’il nous faut réduire de façon drastique nos émissions ou nous risquons de franchir des seuils d’emballement climatique irréversibles. Surtout, les arbres ne stockent pas de façon permanente le carbone qu’ils absorbent. Lorsque les températures grimpent, sous l’effet du «stress hydrique», les arbres commencent à relâcher du CO2.

Face à l’urgence climatique, la compensation carbone est donc une dangereuse illusion qui nous éloigne du vrai enjeu : laisser les énergies fossiles dans le sol. Un exemple, l’avion. D’ici une quinzaine d’années, le trafic aérien pourrait encore doubler. Une hausse vertigineuse totalement incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris. La solution proposée par les compagnies aériennes ? Une croissance «neutre» en carbone. En clair, faire voler les avions avec des agrocarburants et planter massivement des arbres à croissance rapide. Un risque majeur d’accaparement des terres dans les pays du Sud.

Marché

En quelques années, un véritable marché s’est développé autour de la plantation d’arbres, avec son cortège de dérives marketing. En France, des entreprises comme Reforest’Action ou EcoTree multiplient les offres alléchantes. Vous voulez partir en week-end à New York la conscience tranquille ? Plantez des arbres ! Et puis, à quoi bon se tracasser à chaque fois ? Pour 5 000 arbres plantés, vous pouvez compenser les émissions d’une vie entière. Ne mâchons pas nos mots : ce type de démarche est irresponsable.

Alors faut-il arrêter de planter des arbres ?

Non, bien au contraire. Pour tenter de stabiliser le climat, nous n’avons plus le choix : nous devons réduire drastiquement nos émissions et restaurer les forêts. Il ne s’agit pas de faire l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. L’arbre ne doit pas devenir une caution verte, à prix cassé, pour des entreprises qui refusent de s’engager à réduire leur pollution. Il nous faut planter des arbres mais il nous faut aussi, et surtout, développer une éthique des planteurs d’arbres.

Canopée Forêts Vivantes est une association membre de la fédération des Amis de la Terre France.


Au chevet des forêts, l’entreprise de Brest Ecotree lève 12 millions d’euros

Depuis 2016, la start-up de Brest Ecotree plante des arbres pour le compte des entreprises qui souhaitent améliorer leur Responsabilité sociale des entreprises (RSE). Ses ambitions vont encore grandir, puisqu’elle vient d’achever une levée de fonds de 12 millions d’euros, annonce son président.

Un article signé Laura Daniel publié dans l’Ouest-France du

Erwan Le Méné est le président et cofondateur de l’entreprise de valorisation des forêts Ecotree, née à Brest en 2016.
Erwan Le Méné est le président et cofondateur de l’entreprise de valorisation des forêts Ecotree, née à Brest en 2016. | ECOTREE

Spécialisée dans la valorisation des forêts depuis six ans, la start-up brestoise Ecotree fait désormais figure d’incontournable des fintech françaises. Elle vient de boucler une conséquente levée de fonds de 12 millions d’euros, annonce son président et co-fondateur Erwan Le Méné. Société Générale, Financière Fonds Privés et Famae entrent par le même temps à son capital.
De quoi se donner les moyens d’accélérer sa croissance, déjà exponentielle : en 2021, elle a réalisé 6,3 millions d’euros de chiffre d’affaires, et prévoit de passer la barre des 10 millions en 2022.

Issu du monde de la finance, où il a passé 15 ans, Erwan Le Méné a vu s’imposer avec difficultés la Responsabilité sociale des entreprises, la fameuse RSE. « Je me retrouvais face à des dirigeants qui étaient démunis car ce n’était pas leur cœur de métier », raconte-t-il.

Une alternative à « l’écologie punitive »

Encore aujourd’hui, elle se concrétise le plus souvent par l’achat de crédits carbone, une unité qui équivaut à une tonne de CO2 et permet de compenser les gaz à effet de serre émis par les activités de l’entreprise. Mais cette solution n’est pas satisfaisante aux yeux du dirigeant d’Ecotree : « Acheter un bout de papier où il y a écrit 220 tonnes Ghana, ça ne suffit plus. Ça laisse un sentiment d’écologie punitive. »

Ambitionnant de « réconcilier économie et écologie », l’entrepreneur a donc imaginé une alternative. Pour cela, Ecotree achète et gère des massifs forestiers, dont elle possède 800 hectares aujourd’hui. Leur concept repose sur une innovation juridique : ils ont appliqué le principe « bien meuble par anticipation », consistant à acheter une récolte future, qu’ils ont étendu aux forêts.

Ecotree possède actuellement 800 hectares de forêt, dont la moitié en Bretagne. | ECOTREE

« Le green washing est notre principal ennemi »

Concrètement, ses clients achètent des arbres qui y seront plantés et obtiendront ensuite un retour sur investissement lorsque le bois sera récolté, dans plusieurs décennies. « C’est un projet local, incarné, sur lequel ils vont pouvoir communiquer », souligne Erwan Le Mené.
Et ce sans tomber dans le green washing, assure-t-il : « C’est notre principal ennemi. Tous les jours, on refuse des clients qui ne veulent que planter dix arbres pour ensuite s’en gargariser sur les réseaux sociaux. »

Un bureau à Copenhague

Pour le Breton, les entreprises ne peuvent plus se contenter d’affichage en ce qui concerne leur impact environnemental. « La neutralité carbone n’est pas encore obligatoire, mais tout le monde sent le vent tourner. Ça devient une exigence des clients mais aussi des salariés qui ne veulent plus d’employeurs pollueurs. »

Le créneau est d’ores et déjà porteur pour Ecotree. Après la Bretagne, où elle possède 400 hectares de forêts, principalement dans le Finistère et le Morbihan, elle souhaite acquérir de nouvelles forêts dans le reste de la France, notamment le Limousin.

Et a déjà un pied à l’international : l’entreprise a ouvert il y a deux ans un bureau à Copenhague, au Danemark. « On a doublé de taille tous les ans depuis le départ. La levée de fonds va nous permettre de continuer cette très forte croissance et faire grossir les équipes, avec de nombreux recrutements en plus de nos 90 salariés actuels », explique le président d’Ecotree.


Sauver la planète depuis son canapé en plantant un arbre : une arnaque écologique et sociale

Un article signé Laura P et Metig (Revue Z ) pour Basta du 7 juin 2022

Comment s’acheter en même temps une bonne conscience et le droit de continuer à polluer ? Gouvernements et entreprises ont trouvé la solution : la « compensation carbone ». Voyage dans l’empire du capitalisme vert par la Revue Z.

« Pour chaque pack acheté, un arbre planté, c’est aussi simple que ça » , clamait fièrement la marque écossaise BrewDog sur Facebook en mars 2021. Objectif alors annoncé pour l’année : planter un million d’arbres. Partant du principe qu’« on ne cultive pas le houblon dans un désert », ce géant mondial de la bière s’est associé à Eden Reforestation Projects, « une organisation à but non lucratif basée en Californie et qui travaille dans les pays en développement pour réduire l’extrême pauvreté et rétablir des forêts en pleine santé ».

Revue 2 numéro 15
Revue Z n°15

En France aussi, des entreprises arguent que consommer des produits mondialisés est un acte engagé, comme la marque de prêt-à-porter Promod. En partenariat avec Reforest’Action, une société qui porte des projets de reforestation financés sur Internet par des entreprises et des particuliers, Promod invite ses client·es à ajouter un arbre à leur panier en ligne en jouant sur leur sensibilité : « Vous avez envie de faire chanter les oiseaux ? D’agir maintenant pour la planète, et pour longtemps ? Vous avez un petit budget et un cœur gros comme ça ? […] Offrez(-vous) un arbre, c’est l’idée-cadeau originale, écoresponsable et engagée pour lutter contre le réchauffement climatique et participer à la restauration de la biodiversité. » Pendant ce temps, au moins 10 000 tonnes de vêtements, linge de maison et chaussures sont jetés chaque année en France.

Sauver la planète avec sa carte bleue

Parmi les entreprises françaises, Reforest’Action est le leader de cette niche avec ses presque 18 millions d’arbres plantés à travers le monde. Elle compte parmi ses partenaires de grandes sociétés en tout genre : BlaBlaCar, AXA, la Maif, CDC Habitat, Engie, Enedis, Pampers, P&G, Decathlon, Eiffage, Givenchy, Vinci, NRJ, BNP Paribas… et agit en France dans des forêts privées et des parcelles gérées par l’Office national des forêts (ONF), ainsi qu’à l’étranger.

Les entreprises ont le choix entre plusieurs solutions clé en main : financer la plantation d’arbres à travers le monde, via diverses ONG, ou des projets de préservation de forêts existantes. Naturellement, les particulier·ères peuvent aussi se prêter au jeu. Alors, à Z également, on a voulu sauver la planète depuis notre canapé en plantant un arbre. Et tant qu’à faire, sur la Montagne limousine. Nous sommes donc devenu·es les heureux·ses propriétaires virtuel·les d’un plant haut de presque 1 mètre (Kiffance, de son petit nom). On s’est empressé·es d’aller vérifier l’existence de cette plantation, située derrière le cimetière de Gentioux-Pigerolles et exploitée par la CFBL [2], une énorme coopérative forestière. Kiffance était quelque part par là, parmi les rangs de mélèzes d’Europe, de chênes sessiles et d’érables. Quand il sera coupé, à qui reviendra l’argent de la vente, à quoi servira ce bois ? Ça, Reforest’Action ne nous le dit pas.

De plus en plus de « forêts d’entreprise » voient le jour. L’ONG Tree-Nation [3] propose par exemple à ses client·es, pardon, ses « partenaires de reboisement » (9 000 entreprises dont Danone, Nivea, Garnier pour les plus grosses) d’offrir un petit plus à leurs actionnaires ou leurs client·es fidèles : « Les arbres Tree-Nation fonctionnent comme des e-gifts que vous pouvez facilement intégrer à vos produits ou services. Offrir un arbre avec chaque vente est un moyen abordable et élégant d’ajouter de la valeur à vos produits tout en prenant soin de la planète », peut-on lire sur leur site.

Anniversaires, mariages, naissances deviennent autant d’occasions pour les entreprises d’offrir un arbre-cadeau à leurs clients. Chaque arbre possède une URL unique permettant d’avoir facilement de ses nouvelles par mail et d’en donner sur les réseaux sociaux. La marque de chaussures Faguo, quant à elle, possède « 300 forêts » en France [4] et organise des « apéros Faguo Bike & Forest pour offrir [à des client·es, ndlr] des bains de forêt à proximité de chaque grande ville ».

« Compenser » pour ne rien changer

Mais, au-delà du marketing, la plantation d’arbres est une aubaine dans la course aux précieux « crédits carbone », nécessaires dans le cadre de la compensation carbone dite « volontaire ». Celle-ci consiste « à financer un projet de réduction ou de séquestration d’émissions de GES [gaz à effet de serre] dont on n’est pas directement responsable », selon l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie (Ademe).

Comprendre par là qu’on est prié·e de réduire ses émissions, mais que, si c’est trop difficile, on peut se racheter en finançant des projets qui œuvrent contre le réchauffement climatique. Planter des arbres représente une valeur sûre, ceux-ci étant considérés comme de véritables usines à stocker le carbone, peu coûteuses à mettre en place et fonctionnant toutes seules. Voilà comment Total, pourtant en partie responsable de la déforestation et de la destruction des tourbières (qui sont, elles, de réels puits de carbone) en Asie du Sud-Est en raison de sa consommation d’huile de palme pour la fabrication de biocarburants, redore son image en finançant des forêts aux quatre coins du globe.

La compensation carbone, qui instaure une symétrie illusoire entre des activités polluantes et des forêts qui poussent, constitue une arnaque intellectuelle, écologique et sociale. Tout d’abord parce que ces forêts ne sont pas les puits de carbone espérés. Selon l’ingénieur forestier et militant écologiste Gaëtan du Bus de Warnaffe [5], la manière la plus efficace et intelligente de stocker du carbone dans l’environnement est de laisser vieillir les forêts.

Planter des forêts aujourd’hui revient à stocker du carbone le siècle suivant. Or, de nombreux projets de reforestation sont basés sur des essences à croissance rapide (eucalyptus, acacia ou pin) et à courte durée de vie. De plus, la capacité de stockage du carbone des forêts est inversement proportionnelle à l’augmentation du taux de CO2 dans l’air. En gros, plus on pollue, moins les forêts peuvent l’absorber, quelle que soit leur surface. Il y a donc des chances qu’on étouffe avant que nos forêts plantées ne commencent réellement à nous rendre les services écologiques annoncés, quoi qu’essaient de nous faire croire les entreprises, qui comme Air France [6] ou EasyJet en 2019 revendiquent une « neutralité carbone » partielle ou totale.

La stratégie de compensation carbone est aussi adoptée par des collectivités locales et des États pour contrebalancer l’absence de politiques publiques efficaces de réduction de leur empreinte carbone. Or, certaines opérations de plantation sont de véritables catastrophes. En février 2020 en Turquie, 90 % des 11 millions d’arbres plantés trois mois plus tôt sous l’impulsion du ministère de l’Agriculture et des Forêts étaient tristement morts de manque d’eau. Au Canada, c’est l’absence de suivi des plantations promises par le Premier ministre Trudeau (deux milliards d’arbres sur dix ans) qui fait scandale depuis 2019.

Ces effets d’annonce camouflent aussi le fait que les forêts financées par la compensation carbone sont essentiellement des champs d’arbres en monoculture. Outre le drainage des sols, la réduction de la biodiversité et la dépendance aux intrants chimiques, ce sont de véritables poudrières, en raison de leur vulnérabilité aux insectes, aux vents et aux incendies. Bien entendu, les dommages collatéraux de ces forêts plantées ne sont jamais pris en compte dans le calcul de l’empreinte carbone des entreprises concernées.

Une nouvelle forme d’extractivisme colonial

La plupart des projets de reforestation concernent des pays du Sud. Les pays occidentaux sont déjà soumis à des obligations légales multiples par rapport à l’environnement, et il est difficile d’en tirer un réel bénéfice en matière de crédits carbone. Les entreprises se ruent donc sur le marché de la compensation volontaire, une course aux bonnes actions dans les zones les plus en proie aux ravages de la mondialisation. Selon l’économiste Alain Karsenty [7], la majeure partie de la compensation forestière repose sur des engagements de « déforestation évitée ». « La stratégie du porteur consiste souvent à prédire le scénario du pire – une très forte hausse de la déforestation – pour pouvoir prétendre ensuite l’avoir évitée. » C’est donc en spéculant sur le potentiel de destruction de leurs homologues que de grosses sociétés capitalistes lavent leur image de marque.

Éviter la déforestation : c’est précisément l’objectif du programme Réduction des émissions liées au déboisement et à la dégradation des forêts (Redd+) développé par l’ONU depuis 2008. Véritable politique forestière internationale, il subventionne les pays du Sud via la Banque mondiale, pour leurs engagements écologiques, notamment la restauration d’environnements dégradés par des siècles d’extractivisme colonial.

Ces subventions servent des projets qui peuvent, selon leur efficacité, générer les précieux crédits carbone. Ladite efficacité est évaluée suivant une fourchette allant d’un scénario catastrophe (ce qui se serait passé si le projet n’avait pas eu lieu) à un scénario mélioratif, qui surestime, bien souvent, l’impact positif à long terme attribué au projet. Voilà comment des programmes de développement social et économique dans les pays du Sud alimentent le marché du crédit carbone des entreprises occidentales.

Droit de polluer contre droit de vivre

Ce qui se fait bien souvent au détriment des populations locales, privées de leurs pratiques vivrières en forêt sous prétexte de la protéger, et privées d’accès aux terres agricoles et pastorales en raison des initiatives de reforestation. Dans la province de Mai-Ndombe, dans l’ouest de la République démocratique du Congo, une étude récente [8] montre que des communautés villageoises ont vu leurs droits d’usage en forêt restreints par Redd+, sans réduction, en parallèle, de la déforestation due aux activités industrielles.

De même en Amazonie, parmi de nombreux projets Redd+, il y a une dizaine d’années, l’aire protégée du sud du Pérou où vit l’ethnie Ese Eja a servi, sans que celle-ci soit consultée, de monnaie d’échange pour la vente de 100 000 tonnes de crédits carbone à une compagnie d’assurance. En servant de socle à un véritable « droit à polluer » pour les entreprises et les États capitalistes, la compensation carbone s’appuie sur nos croyances occidentales dans la nécessité d’augmenter la surface des forêts, au détriment des peuples qui en dépendent.
Alors, quand on plante, c’est qu’on s’est planté·e ? Pas forcément : à différents endroits en France, des associations et des groupes d’habitant·es restaurent des forêts, des haies vives et des vergers en friche, recréant des réservoirs de biodiversité ainsi que des espaces d’usages collectifs aux antipodes de la financiarisation galopante des espaces forestiers.

Laura_P et Metig
Cet article est issu de la revue Z n°15, « Forêts désenchantées », qui vient de sortir en librairies


Faguo, Ecosia, Ecotree… Ces start-up qui plantent des arbres, comment ça marche ?

Des équipes dédiées, avec leur « chief tree planting officer », se retroussent les manches pour réduire les émissions de CO 2 . Un article signé Camille Wong paru dans Les Echos.fr du 19 avril 2021 …

Grâce à la photosynthèse, les forêts absorbent de grandes quantités du CO2 présent dans l'atmosphère, permettant de réduire les gaz à effet de serre.
Grâce à la photosynthèse, les forêts absorbent de grandes quantités du CO2 présent dans l’atmosphère, permettant de réduire les gaz à effet de serre. (iStock)
Publié le 19 avr. 2021 à 07:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

La communication est simple mais efficace : vous achetez un produit, vous plantez un arbre ; vous voulez investir, vous plantez un arbre ; vous surfez sur le Web… bref, vous avez compris la chanson. « Quand vous entrez dans une boutique Faguo, le vendeur vous dira, enfin j’espère, que nos forêts poussent à moins d’une heure de chaque ville », glisse Nicolas Rohr, cofondateur de la marque de vêtements écoresponsable lancée en 2009.

A l’époque, l’entrepreneur avait bien hésité avec l’ostréiculture, les huîtres étant elles aussi de fortes captatrices de CO2, mais « cela parlait moins aux gens ». En douze ans, 1.800.000 arbres seront finalement plantés dans l’Hexagone. Les quelque trois cents forêts labellisées « Faguo » sont même accessibles au public.

Collaboration avec un pépiniériste

Le système est maintenant bien rodé : « Je ne plante pas ce que j’ai vendu, mais le nombre d’articles que j’ai produits », explique l’entrepreneur. En d’autres termes, quand les vêtements et autres chaussures arrivent en magasin, les pousses sont déjà en terre. Dès que la commande à ses fournisseurs est passée, Faguo prend rendez-vous avec Naudet, un pépiniériste depuis près de cent cinquante ans. La start-up subventionne les plantations à hauteur de 50 % à 90 %, selon les arbres et les essences. Le financement est complété par les clients du pépiniériste (collectivités, mairies, particuliers).

Ensuite, les plantations s’échelonnent d’octobre à mai, et Naudet s’occupe de l’entretien. « Nous exigeons qu’une majorité d’arbres feuillus soient plantés. Ce sont des arbres plus haut de gamme et capables d’emmagasiner plus de CO2, mais ils poussent moins vite », poursuit Nicolas Rohr, qui s’engage à ce que les arbres ne soient pas coupés durant trente-cinq ans. Au total, Faguo, entreprise à mission et certifiée B Corp, reverse 2,5 % de ses revenus dans la plantation.

Avoir un impact carbone le plus bas possible, en réduisant ses émissions d’une part et en compensant le carbone inévitablement émis par l’activité de l’entreprise d’autre part, voilà la double feuille de route que s’est fixée la start-up. Résultat : l’entreprise a réduit de 51 % ses émissions carbone depuis 2010, et ses forêts ont permis de séquestrer 16.640 tonnes de CO2 en 2020. Au total, Faguo jouit d’une empreinte négative, un résultat d’autant plus méritant que la mode a la réputation d’être un des secteurs les plus polluants.

A quoi ça sert une forêt ?

Grâce à la photosynthèse, les forêts absorbent de grandes quantités du CO2 présent dans l’atmosphère, permettant de réduire les gaz à effet de serre. Elles participent aussi à recréer de la biodiversité et luttent contre l’érosion des sols. D’un point de vue social, les programmes de plantation d’arbres, notamment à l’étranger et quand ils sont réalisés en bonne intelligence avec les populations locales, permettent de récréer du dynamisme économique. Par leur culture, les locaux tirent des revenus liés au bois ou encore à l’alimentation.

Un moteur de recherche qui plante

Depuis plusieurs années, de jeunes pousses se sont ainsi publiquement engagées auprès de leurs clients à planter des arbres pour réoxygéner la planète. Ecosia va même plus loin dans la déculpabilisation. Ce moteur de recherche alternatif promet de planter des arbres grâce à votre navigation . Dans les faits, c’est la publicité qui rémunère cette entreprise à but non lucratif, dont 80 % des bénéfices sont reversés dans des projets de reforestation. En moyenne, quarante-cinq recherches Internet rapportent 0,5 centime d’euro. Une machine qui fonctionne bien pour cette start-up allemande, dont la France représente le second marché, avec 3,9 millions d’utilisateurs actifs par mois, sur 15 millions au total.

Projet Ecosia en Indonésie.

Projet Ecosia en Indonésie.Ecosia GmbH

Derrière, une équipe de cinq personnes, dont un « chief tree planting officer », qui sont à temps plein sur les projets de reforestation menés en partenariat avec les communautés locales. La start-up gère des projets à travers le monde, là où les enjeux sont les plus prégnants : Amérique du Sud, Afrique, Océanie, etc. « A chaque fois, on cerne les problèmes de la région et on adapte l’approche pour savoir quelles espèces planter et avoir un effet endémique sur la région », explique Juliette Chabod, la responsable France.

Monétiser les forêts

Ensuite, les équipes suivent les résultats durant trois ans, avec des visites de terrain. Ce sont les communautés locales et les associations qui s’occupent de l’entretien. Pour aller jusqu’au bout de sa politique de décarbonation, le moteur de recherche, lui aussi labellisé B Corp, justifie un bilan carbone négatif depuis 2017, grâce à des panneaux solaires qui alimentent en énergie les activités de l’entreprise.

 chacune des start-up monétise, en un sens, les forêts, d’autres l’assument sans complexe. C’est le cas d’ EcoTree, une start-up tricolore qui propose aux particuliers et aux entreprises d’investir dans les arbres , comme dans un placement financier. L’objectif ? Posséder un arbre et faire une plus-value sur le temps long, au moment de la découpe. Ticket moyen des particuliers : 150 euros, avec un rendement moyen de 2 % par an. « Si l’on veut embarquer le plus grand nombre, il faut ce type de mécanismes incitatifs », indique Baudouin Vercken, le cofondateur de la société, qui compte par ailleurs un forestier au sein de ses associés.

Des ingénieurs forestiers

Après quelques clics, le client choisit son (ou ses) arbre(s). La jeune pousse s’attaque en majorité au reboisement, c’est-à-dire à des forêts à l’abandon ou en carence de gestion, avant de leur redonner un second souffle. EcoTree emploie des ingénieurs forestiers pour parcourir les routes de France et identifier de telles parcelles pour s’en porter acquéreur.
L’entreprise travaille aussi avec des « relais territoriaux » et des « experts locaux » pour accompagner la gestion sylvicole. « Nous cherchons à créer des forêts résilientes, qui vont être capables de vivre avec le dérèglement climatique », poursuit l’entrepreneur. A date, quelque 50.000 particuliers sont clients et 1.000 entreprises, de la start-up au grand groupe.

Des intermédiaires se sont aussi créés pour répondre aux attentes des entreprises engagées dans la compensation carbone. C’est le cas de Trees Everywhere, lancé en 2019, qui propose des projets de plantation aux communes, financés par les entreprises. La start-up vient, par exemple, de boucler un projet de 24.000 arbres à Mulhouse : près de 20 sociétés, souvent locales, ont financé entre 200 euros et 40.000 euros.

Projet de plantation d'arbres à Mulhouse.

Projet de plantation d’arbres à Mulhouse.Trees Everywhere

Un business qui fait parfois l’objet de critiques de la part du monde associatif, pour qui les entreprises se donnent ainsi bonne conscience sans être, d’abord, dans une démarche de réduction de leurs émissions. Sophie Grenier, la cofondatrice, balaie le spectre du greenwashing : « Je suis toujours un peu interloquée par des gens qui critiquent les grands groupes sur la plantation, confie-t-elle. Au moins, ils le font, que l’intentionnalité soit bonne ou mauvaise. »

Les limites de la reforestation

Et d’ajouter : « Notre modèle est vertueux car on décharge les municipalités de toute la logistique : nous leur apportons un financement et une collaboration clés en main. » La start-up, qui fait appel à des personnes en situation de handicap pour reconstituer les forêts, ambitionne de planter 1.000 milliards d’arbres en France, à raison de 30.000 dans chacune des 35.000 communes du pays.

1.200 milliards d’arbres

Une étude parue dans la revue « Science » en 2019, menée par Jean-François Bastin et Thomas Crowther, chercheurs à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (Suisse), montre qu’il faudrait planter 1.200 milliards d’arbres pour capter dix années d’émissions. Une étude rapidement qualifiée de « simpliste » par une partie du corps scientifique, qui accuse l’étude de détourner le vrai problème : celui de réduire les émissions, en particulier fossiles.

Reste que, au global, la plantation d’arbres est loin de faire consensus. De nombreux acteurs alertent sur le bien-fondé de certaines plantations, comme celles faites en monoculture ou avec des espèces à croissance rapide, comme l’eucalyptus, mais qui se révèlent parfois dévastatrices dans certains écosystèmes.

Jonathan Guyot, cofondateur de la communauté all4trees, engagée dans la protection des forêts, déplore la guerre des chiffres qui fait rage sur le volume d’arbres plantés et qui pousse à tirer le prix des arbres vers le bas plutôt qu’à valoriser le travail de préservation des forêts. « Si vous ne financez que la partie reforestation, vous ne traitez pas les causes, vous n’améliorez pas les pratiques agricoles responsables de la déforestation. Par ailleurs, restaurer, c’est bien, mais il faut d’abord préserver les forêts actuelles », insiste cet ingénieur forestier. Pour lui, la plantation d’arbres ne doit pas « laisser croire » à une « solution miracle » contre le réchauffement climatique.

Camille Wong